Ecrit le 4 juin 2024 | Leadership
L’intelligence artificielle (IA) suscite à la fois fascination et inquiétude quant à son potentiel de surpasser l’intelligence humaine. Les études sur l’impact de l’IA sur le monde du travail se multiplient, alimentant cette inquiétude. Cependant, peu d’entre elles soulignent la complémentarité des trois types d’intelligence que tout leader devra savoir combiner dans un futur proche : l’intelligence émotionnelle, artificielle et collective.
Dans plusieurs domaines, les machines surpassent déjà les capacités humaines. Par exemple, dans le domaine de la santé, la start-up Arterys propose une technologie qui permet de détecter en une seconde des anomalies cardiaques que les radiologues mettraient plusieurs minutes à identifier en examinant attentivement une radiographie. Dans le secteur bancaire, l’IA d’IBM appelée Watson décharge les conseillers clients des tâches fastidieuses telles que répondre aux e-mails, et délivre des autorisations de crédit en six heures au lieu de 24 heures auparavant. Dans l’industrie automobile, la Concept-I de Toyota est capable de détecter les émotions sur le visage du conducteur afin de déterminer son niveau de stress ou de fatigue et de lui suggérer de faire une pause.
L’utilisation de ces technologies d’IA offre des avantages en termes de précision, d’efficacité, de sécurité et de temps passé avec le client ou le patient. Mais l’un des domaines les plus avancés de l’IA concerne la prise de décision. Dans un avenir proche, l’IA sera-t-elle plus performante que le jugement humain, qui est sujet aux doutes et aux biais cognitifs ?
Le cerveau d’un dirigeant peut rapidement montrer des signes de faiblesse dans la prise de décision ou dans l’arbitrage face à des dilemmes complexes. Une fois entraînée, une machine est capable d’évaluer précisément les conséquences des choix, car elle les a déjà faits des milliers de fois, sans biais. L’IA, utilisée en complément d’une analyse humaine, peut donc être un allié précieux dans la prise de décision. D’ailleurs, l’amélioration des décisions est le deuxième avantage de l’IA le plus cité par les dirigeants, après l’amélioration des produits. Marc Benioff, PDG de Salesforce, consulte déjà une IA appelée Einstein lors des réunions hebdomadaires de son comité de direction, ce qui lui permet de faire face à la masse de données en jeu et de contourner la rétention d’information qui peut être présente chez certains cadres de l’entreprise.
Dans 30 ans, selon Jack Ma, fondateur d’Alibaba, un robot pourrait être plus performant qu’un dirigeant humain, car il aurait une meilleure mémoire, compterait plus rapidement et ne serait pas affecté par la concurrence. Si le cerveau d’un dirigeant ne peut rivaliser avec les capacités impressionnantes de mémorisation, de calcul et de diagnostic d’une IA, il lui restera néanmoins l' »intelligence du cœur », qui ne peut pas être programmée. Par conséquent, les compétences socio-émotionnelles seront essentielles pour les leaders afin de compléter le travail des machines.
Selon le McKinsey Global Institute, les compétences émotionnelles seront les plus sollicitées d’ici 2030 (+24% par rapport à 2016), après les compétences technologiques telles que la programmation informatique, le codage et l’expertise en robotique. Ainsi, la main-d’œuvre du futur devra être plus proactive, prendre soin des autres, négocier, développer des compétences interpersonnelles et de l’empathie, avoir un sens du leadership, et être capable d’apprendre en continu.
Cependant, selon une enquête réalisée par BCG Gamma, 76% des salariés redoutent que le développement de l’IA entraîne davantage de contrôle et de surveillance sur leur lieu de travail, et 65% estiment qu’elle déshumanisera le travail et détériorera les relations sociales.
Ces craintes sont légitimes, en particulier dans le secteur bancaire. Avec l’automatisation des tâches à faible valeur ajoutée, les banques de détail estiment que les trois quarts de leurs collaborateurs changeront de métier dans les cinq prochaines années, et que ces nouveaux métiers se concentreront davantage sur l’animation des équipes et la satisfaction des clients. Les compétences relationnelles deviendront donc essentielles, car elles ne sont pas (encore) accessibles à l’IA. Il est donc vital de renforcer la formation dans ce domaine. Face à l’ambiguïté ou au subjectif, lorsque l’intuition, la créativité, l’imagination, la pensée conceptuelle et le bon sens seront nécessaires, l’être humain devra jouer pleinement son rôle, aux côtés des machines.
Sur la base de recherches scientifiques menées auprès de 480 dirigeants et managers dans plus de 50 entreprises, voici les sept qualités qu’un leader doit développer pour combiner les trois types d’intelligence :
Conscience et acceptation de soi : avoir une connaissance intime et accepter ses états mentaux, émotionnels et physiques.
Flexibilité psychologique et cognitive : réagir moins émotionnellement, être ouvert à la diversité des points de vue et à l’incertitude.
Sens critique et discernement : remettre en question les idées préconçues, mettre de côté ses biais pour prendre les bonnes décisions.
Attention(s) et sensibilité sociale : avoir un esprit calme, une concentration stable et être capable de repérer les signaux faibles des individus et de l’environnement.
Empathie et compassion : être capable de se connecter émotionnellement avec les autres, répondre à leur besoin de reconnaissance et de soutien.
Authenticité et humilité : agir selon ses valeurs profondes, être vulnérable et reconnaître qu’on peut toujours s’améliorer.
Conscience sociétale : avoir une vision solidaire, chercher à avoir un impact positif à la fois individuel et collectif.
Le leader de demain devra relever trois défis majeurs. Il devra conduire les changements organisationnels et culturels induits par l’IA, faciliter la collaboration entre l’homme et la machine, et accélérer le développement de nouvelles compétences émotionnelles et cognitives afin d’apporter de la valeur aux tâches automatisées. Pour y parvenir, au lieu de refouler ou compartimenter ces différentes formes d’intelligence, il devra savoir les combiner.
L’intelligence collective sera considérablement augmentée par la puissance des ordinateurs connectés et des réseaux sociaux. Elle permettra de résoudre certains des grands défis de notre planète (pandémies, menaces climatiques, pauvreté…) au bénéfice du plus grand nombre, et non pas seulement pour le compte de quelques géants comme les Gafam.
En conclusion, le développement d’un leadership humain et performant dans un monde où l’IA prend de plus en plus de place sera crucial pour tirer le meilleur parti de cette technologie tout en préservant les compétences et les valeurs humaines essentielles à notre société.